Chapitre 1

 

 

On se rend généralement à l’hôpital pour y être sauvé, mais les médecins ne peuvent que vous rafistoler, vous reconstituer. Ils ne peuvent rien aux dommages causés. Ils ne peuvent pas intervenir pour que vous ne vous réveilliez pas dans le mauvais lit, pas plus que pour transformer la vérité en mensonges. Les gentils docteurs et assistantes médicales de l’équipe d’intervention en cas d’agressions sexuelles ne purent en effet que demeurer impuissants face à l’évidence : j’avais bel et bien été violée. Le fait que je n’en avais pas le moindre souvenir, puisque mon oncle m’avait envoûtée pour abuser de moi, ne changerait en rien les indices qu’ils trouvèrent suite aux prélèvements effectués.

On aurait pu penser qu’une véritable Princesse-Fey aurait une vie digne d’un conte de fées. Or, ces histoires finissent invariablement bien, alors que généralement, elles ne relatent que d’horribles événements. Vous rappelez-vous de Raiponce ? La vilaine sorcière arracha les yeux de son prince charmant, le rendant évidemment aveugle. Les larmes de Raiponce lui rendirent magiquement la vue, mais cela ne se produisit qu’à la fin du récit. Cendrillon était à peine mieux traitée qu’une esclave, Blanche-Neige faillit en fait mourir quatre fois des desseins meurtriers que lui vouait la méchante Reine. La pomme vénéneuse est tout ce dont on se souvient, mais n’oublions pas le chasseur, le corset ensorcelé ni le peigne empoisonné. Prenez n’importe quel conte de fées basé sur d’anciens récits, et l’héroïne y vit des expériences malheureuses, dangereuses, pour tout dire, un véritable cauchemar.

Moi, Princesse Meredith NicEssus, prête à accéder au plus éminent trône de la Féerie, suis arrivée au milieu de mon histoire. Quoique la conclusion « heureuse jusqu’à la fin des temps », si elle se précise vraiment, me semblât cette nuit particulièrement éloignée.

Allongée sur un lit dans une jolie chambre individuelle, j’avais été admise au service maternité d’un établissement hospitalier plutôt sympa, vu que j’étais enceinte. Je l’étais déjà avant que mon oncle cinglé, Taranis, ne me kidnappe. Je ne l’étais donc pas de lui, mais des hommes que j’aimais, qui avaient pris tous les risques pour venir m’arracher à ses griffes. Et j’étais à présent en sécurité, avec à mon chevet l’un des plus grands guerriers qu’ait connus la Féerie : Doyle, autrefois les Ténèbres de la Reine qui, un millier d’années avant ma naissance, était son assassin attitré. Il était maintenant tout à moi, debout près de la fenêtre, le regard braqué sur l’obscurité de la nuit gâchée par les éclairages du parking de l’hôpital, au point que la noirceur de sa peau et de ses cheveux semblait encore plus sombre. Il avait retiré ses lunettes de soleil qu’il portait presque toujours à l’extérieur, mais ses yeux étaient tout aussi noirs. La seule couleur perceptible sous l’éclairage atténué de la chambre provenait des étincelles des anneaux d’argent qui suivaient la courbe gracile de l’une de ses oreilles jusqu’à sa pointe effilée, un détail qui le désignait comme n’étant pas purement de sang sidhe, pas véritablement de la Haute Cour, mais métis, tout comme moi. Les diamants qui en ponctuaient les lobes scintillèrent à la lumière lorsqu’il tourna la tête, semblant avoir perçu la fixité de mon regard, ce qui était probablement le cas.

Sa chevelure d’ébène lui retombant aux chevilles bougea telle une ample pèlerine quand il s’avança vers moi. Il avait enfilé l’accoutrement vert hospitalier qu’on lui avait demandé de porter, remplaçant la couverture dont il avait recouvert sa nudité dans l’ambulance qui nous avait conduits ici. Afin de me sauver, il avait pénétré à la Cour Dorée métamorphosé en gigantesque chien noir. Sous cette forme, il perdait tout ce qu’il portait, ses fringues, ses armes mais curieusement, jamais ses piercings. Celui qui ornait son téton ainsi que toutes ses boucles d’oreilles – sans doute partie intégrante de son personnage – en réchappaient lorsqu’il reprenait forme humaine.

Il s’approcha du lit et me prit la main, celle qui n’était pas reliée à une intraveineuse qui avait contribué à m’hydrater et à me faire surmonter l’état de choc dans lequel je m’étais trouvée à mon arrivée. Si je n’avais pas été enceinte, ils m’auraient probablement gavée de médocs. Et pour une fois, une dose plus forte n’aurait pas été de refus, cela m’aurait aidée à oublier. Pas seulement ce qu’avait fait mon oncle Taranis, mais également…

Je m’agrippai à la grande main sombre de Doyle, la mienne si petite et pâle en comparaison. Il aurait dû y avoir quelqu’un d’autre à côté de lui, à côté de moi. Frost, notre Froid Mortel, avait disparu. Il n’était pas mort, pas vraiment, mais il était perdu pour nous. Doyle avait la capacité de changer d’apparence à volonté, puis de reprendre celle qui était véritablement la sienne. Frost n’avait pas eu la moindre aptitude en la matière, mais lorsque la magie sauvage s’était propagée dans la résidence que nous occupions à Los Angeles, il en avait été radicalement transformé, métamorphosé en cerf blanc. Il s’était ensuite éclipsé au galop par les portes qui s’étaient matérialisées dans un coin de la Féerie n’ayant jamais existé avant.

Alors limitées, les contrées de notre royaume s’étaient retrouvées en pleine expansion. Une grande première depuis des siècles. Quant à moi, l’une des nobles des Hautes Cours, la dernière enfant de la noblesse de la Féerie à avoir vu le jour, j’attendais des jumeaux. Notre peuple déclinait, mais après tout, peut-être pas. Il était possible que nous soyons en train de récupérer notre pouvoir, mais à quoi pourrait-il bien me servir ? À quoi me servirait la régénérescence de la Féerie et de la magie sauvage ? À quoi servirait tout ça, alors que Frost était maintenant doté d’un corps et d’un esprit animal ?

À la pensée que je porterais son enfant sans qu’il le connaisse ni en soit même conscient, je ressentis une oppression dans la poitrine, agrippée à la main de Doyle sans pouvoir me résoudre à rencontrer son regard. Je n’étais pas certaine de ce qu’il percevrait dans mes yeux, incertaine même de ce que je ressentais. J’aimais Doyle, de tout mon cœur, mais j’aimais Frost aussi. La nouvelle qu’ils seraient tous les deux pères avait été réjouissante.

Sa voix profonde, si profonde, se fit entendre, évoquant de la mélasse et d’autres substances épaisses et sucrées s’étant muées en paroles.

Mais ce qu’il dit n’avait rien de suave :

— Je tuerai Taranis si tu me le demandes.

— Non, tu ne feras pas ça, lui répondis-je en secouant négativement la tête.

J’y avais songé, sachant que Doyle mettrait à exécution ce qu’il venait de suggérer. Si je le lui demandais, il tenterait de tuer Taranis et y parviendrait sans doute. Mais je ne pouvais autoriser mon amant et futur Roi à éliminer le souverain de la Lumière et de l’Illusion qui régnait sur notre Cour ennemie. Nous n’étions pas en guerre, et même ceux parmi les Seelies qui pensaient que Taranis avait perdu la raison, voire était malfaisant, seraient peu enclins à demeurer indifférents si on l’assassinait. Un duel, passe encore, mais un assassinat ? Doyle pouvait légitimement défier le Roi en combat singulier. J’y avais songé, également. Et même si l’idée m’avait en partie séduite, j’avais été témoin de ce dont était capable la Main de Pouvoir de Taranis, sa Main de Lumière, qui brûlait la chair et qui, tout récemment, était presque parvenue à tuer pour de bon mes Ténèbres.

J’avais renoncé à l’idée qu’il me venge après avoir mis en balance la pensée de le perdre à son tour.

— Je suis le Capitaine de ta Garde, et je pourrais laver ton honneur ainsi que le mien pour cette seule raison.

— Tu veux parler d’un duel ?

— Oui. Il ne mérite pas la moindre chance de se défendre, mais si je l’assassine, ce sera la guerre entre les Cours, ce que nous ne pouvons nous permettre.

— Non, en effet, répondis-je en me décidant enfin à affronter son regard.

— Tes yeux brillent dans l’obscurité, Meredith, me dit-il en me caressant la joue de sa main libre. Ton visage irradie de cercles verts et or lumineux, trahissant tes émotions.

— Je veux qu’il meure, c’est vrai, mais je ne détruirai pas toute la Féerie pour ça. Je ne nous ferai pas tous virer des États-Unis pour venger mon honneur. Le traité qui nous a permis trois cents ans plus tôt de nous installer ici comprend deux conditions fondamentales qui pourraient nous en faire éjecter : les Cours ne peuvent entrer en guerre sur le sol américain et nous devons nous abstenir d’inciter les humains à nous vénérer comme des divinités.

— Cela a été établi à la signature du traité, Meredith. J’ai connaissance de son contenu.

Je lui fis un sourire, et il me semblait même bizarre que j’y parvienne, ce qui l’atténua quelque peu, mais à la réflexion, je pense que c’était plutôt bon signe.

— Te souviens-tu de la Magna Carta ?

— Un truc humain, ayant fort peu en commun avec notre peuple.

— Ce n’était qu’une remarque en passant, lui dis-je en lui étreignant la main.

— Mon émotivité me fait penser au ralenti, m’expliqua-t-il avec un hochement de tête et un sourire.

— Tout comme moi.

La porte derrière lui s’entrouvrit. Deux hommes se tenaient dans l’encadrement, un grand et un petit. Sholto, le Roi des Sluaghs, le Seigneur de l’Insaisissable, faisait la même taille que Doyle. Sa longue chevelure blond platine retombait droit jusqu’à ses chevilles et sa peau était d’une nuance assortie à la mienne, de l’éclat d’une lune blafarde, aussi pâle de visage que tous aux Cours, quoique moins que mon regretté Frost. Le jaune doré tricolore de ses iris évoquait les teintes des feuilles de trois variétés d’arbre à l’automne, semblant avoir fusionné pour les colorer, avant que le tout ne se retrouve cerné d’or. Les Sidhes avaient été de tout temps dotés des yeux les plus magnifiques qui soient. Le tee-shirt et le jean qu’il avait portés pour camoufler sa véritable apparence lorsqu’il était venu me secourir moulaient un corps aussi splendide que son visage. Mais je savais que ce n’était en partie qu’une illusion. Sholto avait en effet des excroissances tentaculaires qui émergeaient au niveau des côtes supérieures. Bien que sa mère soit issue de la noblesse de la Haute Cour, son père avait été un Volant de la Nuit, un peuple faisant partie des Sluaghs, la dernière Meute Sauvage de la Féerie. En fait, la dernière, jusqu’au retour de la magie incontrôlée. Et à présent, des créatures de légendes réapparaissaient, et seule la Déesse savait ce qui faisait à nouveau partie de la réalité, et ce qui restait encore à venir.

Il dissimulait ces petits extras grâce à son glamour, à moins qu’il ne porte un manteau ou une veste suffisamment épaisse. Pas besoin d’effrayer les infirmières. D’avoir ainsi dû cacher ses différences durant toute son existence l’avait rendu amplement capable de changer d’apparence pour donner le change et se risquer à me porter secours. On ne se confrontait pas à la légère au Roi de la Lumière et de l’Illusion avec un camouflage illusoire en guise de seule protection.

Il m’adressa un sourire que je ne lui avais vu qu’à cet instant, dans l’ambulance, où il m’avait pris la main en me disant qu’il savait qu’il serait bientôt père. La nouvelle semblait avoir contribué à adoucir une certaine dureté qui s’était toujours trouvée enfouie dans ce corps magnifique. Tandis qu’il s’avançait vers nous, il avait tout l’air du proverbial nouvel homme.

Quant à Rhys, il n’avait pas du tout le sourire. Du haut de son mètre soixante-cinq, il était à ma connaissance le plus petit Sidhe pure souche. Sa peau avait la pâleur de l’éclat lunaire, comme celle de Sholto, de Frost et la mienne. Il avait enlevé sa barbe et moustache postiches dont il s’était masqué à l’intérieur du monticule de la Féerie. Employé avec moi à l’Agence de Détectives Grey à L.A., il adorait se déguiser. Il y excellait même, bien mieux que grâce au glamour. Néanmoins, il en possédait suffisamment pour dissimuler qu’il était borgne. L’œil qui lui restait, aussi spectaculaire que n’importe quel autre à la Cour, était composé de trois cercles bleus, mais là où le gauche s’était autrefois trouvé ne restait plus qu’une zone de peau blanche scarifiée. En public, il portait généralement un cache-œil, mais cette nuit, son visage se présentait nu, ce que j’appréciais au plus haut point. Je voulais voir mes hommes sans la moindre dissimulation.

Doyle se déplaça légèrement pour permettre à Sholto de venir me déposer un chaste baiser sur la joue. Celui-ci n’était pas l’un de mes amants réguliers. En vérité, nous n’avions couché qu’une fois ensemble, mais comme le dit un vieux dicton : « Une fois suffit. » L’un des enfants que je portais était en partie de lui, mais nous étions encore étrangers l’un à l’autre après ce premier rendez-vous, qui s’était pourtant révélé sacrément torride.

Rhys s’approcha au pied du lit, ses boucles blanches qui lui retombaient à la taille toujours rassemblées en cette queue-de-cheval qu’il avait portée assortie à son style vestimentaire jean-tee-shirt. Son expression était particulièrement grave, ce qui ne lui ressemblait guère. Il avait été à une époque Crom Cruach et avant cela, un dieu de la Mort. Il se refusait à me préciser lequel et m’avait dit que Crom Cruach était assez divin comme ça, qu’il n’avait pas besoin d’autres titres honorifiques, mais j’avais glané suffisamment d’indices pour arriver à en tirer certaines conclusions.

— Qui va aller le défier en duel ? demanda-t-il.

— Meredith vient de me dire de m’en abstenir, lui répondit Doyle.

— Oh, super ! s’exclama Rhys. Je vais me le faire !

— Non, lui dis-je. D’ailleurs, je croyais que tu avais peur de Taranis.

— En effet, et je le crains même peut-être encore. Mais nous ne pouvons pas laisser passer ça, Merry, sûrement pas !

— Et pourquoi ? Parce que ton orgueil s’en est retrouvé meurtri ?

Il me lança un de ces regards !

— Accorde-moi davantage de crédit que ça !

— Alors, je vais aller le défier, moi ! renchérit Sholto.

— Non, criai-je. Personne n’ira le provoquer en duel ni lui faire son affaire, de quelque manière que ce soit.

Les trois hommes me regardèrent. Doyle et Rhys savaient que j’avais un plan en tête, me connaissant assez pour avoir échafaudé certaines suppositions, contrairement à Sholto, qui réagissait seulement sous l’emprise de la colère.

— Nous ne pouvons laisser passer cet outrage, Princesse. Il doit payer !

— Je suis d’accord, et étant donné qu’il a fait intervenir des avocats humains lorsqu’il a accusé Rhys, Galen et Abloec de viol à l’encontre de l’une de ses nobles, nous allons recourir à notre tour à la justice humaine. Nous avons son ADN et allons l’accuser de m’avoir violée.

— Et ensuite, il risquera quoi, une peine d’emprisonnement ? Même s’il accepte d’être incarcéré dans un établissement pénitentiaire humain, ce châtiment semble bien léger pour ce qu’il t’a fait !

— C’est vrai, mais c’est le mieux que nous puissions faire en vertu de la loi.

— De la loi des humains, rétorqua Sholto.

— Oui, de la loi des humains, répétai-je.

— Selon notre législation, dit Doyle, nous serions autorisés à le défier en duel et à le tuer.

— Cela ne me paraît que justice, ajouta Rhys.

— C’est moi qu’il a violée. Je suis prête à être consacrée Reine, si nous parvenons à empêcher nos ennemis de m’éliminer. C’est donc moi qui établirai quel châtiment lui sera réservé ! conclus-je avec d’autant plus d’intensité dans la voix que je dus m’arrêter à deux reprises de parler pour reprendre mon souffle.

Doyle demeurait impavide.

— Tu as une idée derrière la tête, ma Princesse. Tu as déjà anticipé comment cela pourrait profiter à notre cause.

— Comment cela pourrait aider notre Cour, la Cour Unseelie, que les humains qualifient depuis des siècles de malfaisante. S’il y a un jugement public accusant de viol le Roi des Seelies, nous parviendrons enfin à les convaincre que nous ne sommes pas les méchants.

— Voilà qui est parlé comme une Reine, m’approuva Doyle.

— Plutôt comme une politicienne, renchérit Sholto, ce qui ne sonnait pas vraiment comme un compliment dans sa bouche.

Je lui lançai le regard qu’il méritait.

— Tu es Roi toi aussi, du peuple de ton père. Serais-tu prêt à détruire tout ton royaume pour une vengeance ?

Il détourna alors les yeux et à son front se matérialisa ce froncement, signe d’une saute d’humeur passagère. Mais tout aussi de mauvais poil soit-il, il pouvait toujours essayer de rivaliser avec Frost, mon regretté chéri lunatique.

S’étant avancé à mon chevet, Rhys me caressa la main où par du sparadrap était fixée l’aiguille de l’intraveineuse.

— Je n’hésiterai pas à me confronter au Roi pour toi, Merry. Tu peux me faire confiance.

Je recouvris sa main de la mienne qui était libre, en fixant cet œil unique aux cercles bleutés.

— Je ne veux plus perdre l’un de vous, Rhys. Au grand jamais.

— Frost n’est pas mort, me rappela-t-il.

— Il est maintenant réincarné en cerf blanc, Rhys. On m’a dit qu’il ne resterait sous cette apparence qu’une centaine d’années. J’ai trente-trois ans et je suis mortelle. Je ne me vois pas rester en vie pendant encore un siècle. Il pourra bien revenir en tant que Froid Mortel, mais pour moi, il sera trop tard.

Mes yeux me brûlaient, ma gorge s’était nouée, et ma voix parvint tout juste à s’en extirper.

— Il ne tiendra jamais son bébé dans ses bras, ajoutai-je. Jamais il ne sera là pour lui en tant que père. Son enfant aura grandi avant qu’il n’ait à nouveau des mains pour l’étreindre, ou une bouche humaine pour lui exprimer son amour.

Je me renfonçai alors dans les oreillers, laissant les sanglots me submerger. Retenant Rhys par la main, je laissais mes larmes s’épancher.

Doyle, qui s’était avancé à côté de lui, me caressa la joue.

— S’il avait su que sa disparition te ferait autant de chagrin, il se serait davantage accroché.

Je clignai des paupières, faisant refluer les larmes, les yeux levés vers ce sombre visage.

— Que veux-tu dire ?

— Cela s’est présenté à nous deux dans un rêve, Meredith. Nous savions que l’un de nous serait sacrifié pour que le pouvoir revienne à la Féerie. Le même rêve lors de la même nuit. C’est comme ça que nous l’avons appris.

— Et aucun de vous deux ne me l’a dit ! m’exclamai-je avec, à présent, une voix à l’inflexion accusatrice, ce qui valait mieux que des pleurnicheries, je suppose.

— Mais qu’aurais-tu pu y faire ? Lorsque les Dieux eux-mêmes ont fait leur choix, personne ne peut rien y changer. Mais ce sacrifice devait être volontaire, le rêve était particulièrement limpide à ce sujet. Si Frost avait su que son cœur t’était aussi précieux, il se serait défendu davantage, et c’est moi qui serais parti à sa place.

Je secouai la tête en m’écartant de sa main.

— Mais ne comprends-tu rien à rien ? Si tu étais réapparu sous une autre forme, perdu pour moi à jamais, je te pleurerais tout autant !

— Doyle et Frost n’avaient pas compris qu’ils étaient tous les deux dans le peloton de tête, dit Rhys en m’étreignant la main.

Je me dégageai de la sienne en lui lançant un regard noir, heureuse de me sentir en proie à la colère, une émotion bien plus plaisante que toutes celles qui m’animaient intérieurement en ce moment.

— Vous n’êtes que des imbéciles, tous sans exception ! Ne comprenez-vous donc pas que je vous pleurerais tous si vous disparaissiez ? Qu’il n’y en a pas un seul dans mon entourage que je veuille perdre, ou risquer de perdre ? Êtes-vous donc incapables de vous le rentrer dans le crâne ?

J’en hurlais, un défoulement plus agréable que les larmes.

La porte de la chambre s’ouvrit alors, laissant entrer une infirmière, suivie d’une femme-médecin en blouse blanche que j’avais rencontrée plus tôt. Le Docteur Mason était gynéco-obstétricienne qualifiée, l’une des meilleurs de l’état, voire de tout le pays, ce qui m’avait été expliqué en détails par un avocat délégué par ma tante. Qu’elle m’ait envoyé un mortel plutôt qu’un émissaire de notre Cour avait été plutôt surprenant. Aucun de nous n’avait su ce qu’en déduire, mais j’avais eu l’impression qu’elle m’accordait autant de considération qu’à elle-même, si elle s’était trouvée à ma place. Elle avait généralement la fâcheuse habitude de régler son compte au messager. Les immortels de la Féerie étant plutôt rares, en conséquence, elle m’avait envoyé quelqu’un qu’elle pourrait facilement remplacer si besoin était, car il est vrai qu’on peut toujours trouver un autre avocat. Cependant, l’homme de loi en question avait clairement annoncé que la Reine était très enthousiaste de me savoir enceinte et ferait tout ce qui était en son pouvoir pour que ma grossesse se déroule dans les meilleures conditions possibles, c’est-à-dire les plus sécurisées, ce qui incluait de rémunérer le Docteur Mason, qui, en ce moment même, fusillait mes hommes du regard.

— J’avais pourtant dit de ne pas la déranger, messieurs. Je ne plaisantais pas !

L’infirmière, une femme corpulente avec une queue-de-cheval brune, s’activait autour de moi en vérifiant les moniteurs. Quant à la doctoresse, toujours au chapitre des réprimandes, elle portait un large bandeau noir qui contrastait particulièrement avec sa blondeur, ce qui rendait d’autant plus évident, du moins pour moi, que cette couleur n’était pas naturelle. À peine plus grande que moi, elle ne me donna néanmoins pas l’impression d’être petite lorsqu’elle contourna le lit pour venir se planter face aux hommes en embrassant d’un regard sévère Rhys et Doyle qui se trouvaient à côté, ainsi que Sholto, toujours dans le coin de la pièce, près du fauteuil.

— Si vous persistez à perturber ma patiente, je me verrai dans l’obligation de vous demander de sortir.

— Mais nous ne pouvons pas la laisser seule, Docteur, répondit Doyle, la voix caverneuse.

— Je me souviens de cette conversation, mais vous semblez quant à vous avoir oublié ce que je vous avais dit. Vous ai-je dit, oui ou non, qu’elle avait besoin de repos et ne devait être dérangée sous aucun prétexte ?

Ils avaient ainsi eu leur petite « conversation » hors de la chambre, car je n’avais rien entendu.

— Y a-t-il quelque chose qui ne va pas avec les bébés ? lui demandai-je, de la peur dans la voix à présent.

Comme j’aurais préféré être en colère !

— Non, Princesse Meredith, les bébés semblent plutôt…

Une hésitation des plus minimes, puis :

— … en bonne santé.

— Vous ne me dites pas tout, lui fis-je remarquer.

Après s’être concertée du regard avec l’infirmière, ce qui ne laissait rien augurer de bon, elle contourna le lit pour se placer à l’opposé de mes hommes.

— Je suis simplement concernée par votre état de santé, comme je le serais pour toute patiente portant plusieurs enfants.

— Je suis enceinte, pas invalide, Docteur Mason.

Mon cœur s’était emballé, ce que les moniteurs retransmirent. Je compris pourquoi on m’avait reliée à bien plus de ces machines qu’il n’était habituel. Si quoi que ce soit allait de travers avec cette grossesse, l’hôpital se retrouverait dans un fichu pétrin. J’étais l’une des personnalités les plus importantes et ils s’en inquiétaient. J’avais également été admise ici en état de choc, avec une tension artérielle et un niveau d’énergie faibles, la peau glacée. Ils préféraient s’assurer que mon rythme cardiaque et tout le reste ne continuaient pas de flancher. Et à présent, ces moniteurs trahissaient mes sautes d’humeur.

— Dites-moi tout, Docteur. Votre réticence me fait redouter le pire.

Elle consulta Doyle du regard, qui lui fit un léger assentiment de tête. Je n’aimais pas ça du tout.

— Vous lui en avez déjà parlé ? m’enquis-je.

— Vous n’allez visiblement rien lâcher.

— Non.

— Alors peut-être que nous devrons procéder ce soir à une nouvelle échographie.

— C’est ma première grossesse, mais je sais par des amies de L.A. que les échographies ne sont pas si fréquentes au tout début. Vous en avez déjà effectué trois. Quelque chose ne va pas avec les bébés, c’est ça ?

— Je peux vous faire la promesse que les jumeaux se portent bien. D’après ce que j’ai pu constater sur l’échographie et diagnostiquer en fonction de vos résultats sanguins, vous êtes en bonne santé et au début d’une grossesse normale, quoique multiple, ce qui peut s’avérer plus difficile pour la mère comme pour le docteur, me dit-elle en souriant – enfin ! Mais en ce qui concerne les jumeaux, ils sont en pleine forme. Je vous le promets.

— Ne faites pas de promesses à la légère, Docteur. Je suis une Princesse du Royaume de la Féerie, et faire des promesses s’apparente bien trop à prêter serment. Vous préférerez ignorer ce qui pourrait vous arriver si vous vous parjurez.

— S’agit-il d’une menace ? me dit-elle en se redressant de toute sa taille, agrippée aux extrémités du stéthoscope qu’elle avait autour du cou.

— Non, Docteur, ce n’est qu’une recommandation à la prudence. La magie opère dans mon entourage, et parfois même dans le monde des mortels. Je veux simplement que vous, ainsi que tous les humains qui prennent soin de moi, compreniez que les propos que vous pourriez tenir sans même y penser pourraient avoir des répercussions particulièrement bizarres avec moi à proximité.

— Voulez-vous dire que si, par exemple, je dis « je souhaite », cela pourrait être sérieusement pris au premier degré ?

— Les fées n’exaucent pas vraiment les souhaits, Docteur, lui dis-je en souriant. Du moins pas celles présentes dans cette chambre.

Elle eut l’air embarrassé.

— Je ne voulais pas dire…

— Ce n’est pas grave, mais à une époque, donner sa parole puis se rétracter équivalait à vous retrouver pourchassé par la Meute Sauvage, ou encore, la malchance pouvait vous tomber dessus. J’ignore la proportion de magie qui m’a suivie depuis la Féerie, mais je ne voudrais vraiment pas que quelqu’un se retrouve accidentellement blessé.

— J’ai appris la nouvelle de la disparition de votre… amant. Je vous présente mes condoléances, quoique, en toute sincérité, je n’ai pas tout compris de ce que l’on m’a raconté.

— Même nous, nous n’avons pas tout compris de ce qui s’est passé, dit Doyle. La magie incontrôlée est qualifiée ainsi pour une bonne raison.

Elle hocha la tête, semblant ainsi dire qu’elle avait pigé, et je crus qu’elle s’apprêtait à partir.

— Docteur, la rappelai-je. Vous vouliez procéder à une autre échographie ?

Elle se retourna, le sourire aux lèvres.

— Allons, voyons ! Essaierais-je de sortir de cette chambre sans même répondre à vos questions ?

— En toute apparence, c’est ce que vous sembliez prête à faire, ce qui ne me plairait pas. Que vous vous soyez entretenue avec Doyle avant moi vous vaut déjà un mauvais point.

— Vous étiez assoupie, si paisible, et votre tante ayant émis le souhait que je m’entretienne avec le Capitaine Doyle…

— Et c’est elle qui paie les factures, ripostai-je.

Elle sembla troublée et quelque peu énervée.

— Elle est aussi Reine, et en toute franchise j’ignore encore comment répondre à ses requêtes.

Je lui adressai un sourire, qui me sembla quelque peu amer.

— Si elle vous donne l’impression qu’il s’agit d’une requête, Docteur, cela veut dire qu’elle se montre particulièrement aimable à votre égard. Elle est en effet Reine et la souveraine suprême de notre Cour. Et les souverains suprêmes ne font pas de requêtes.

Elle agrippa à nouveau les branches de son stéthoscope. Un geste de nervosité devenu une habitude, j’aurais pu le parier.

— Eh bien, c’est possible, mais elle voulait que je relate certains détails à… s’interrompit-elle en marquant un temps d’hésitation avant de reprendre : l’homme principal de votre vie.

— La Reine Andais a choisi Doyle en tant qu’homme principal de ma vie ! m’exclamai-je en tournant les yeux vers lui, toujours à mon chevet.

— Elle a demandé qui était le père des enfants et, bien évidemment, j’étais encore dans l’incapacité de le lui préciser. Je l’ai avertie que, dans l’immédiat, une amniocentèse risquait d’aggraver votre condition. Mais le Capitaine Doyle a semblé particulièrement certain d’être l’un des pères.

— Il l’est, dis-je en acquiesçant de la tête. Ainsi que Rhys et le Seigneur Sholto.

— Princesse Meredith, vous attendez des jumeaux, pas des triplés ! s’étonna-t-elle en me regardant, les paupières papillonnantes.

Je la regardai à mon tour.

— Je sais qui sont les pères de mes enfants, non ?

— Mais vous…

— Docteur, ce n’est pas ce qu’elle veut dire, intervint Doyle. Vous pouvez me faire confiance, Docteur, mes jumeaux auront plusieurs pères biologiques. Je ne suis pas le seul.

— Comment pouvez-vous être aussi sûr d’un phénomène si improbable ?

— J’ai reçu une vision de la Déesse.

Elle ouvrit la bouche, prête à en débattre, avant de la refermer et de se diriger à l’autre bout de la chambre, où ils avaient laissé la machine à échographie la dernière fois qu’ils l’avaient utilisée sur moi. Elle enfila des gants, imitée par l’infirmière, puis sortit ce tube de pâte visqueuse qui, comme je l’avais récemment appris, était très, très froide.

Le Docteur Mason ne se préoccupa même pas cette fois de savoir si je voulais que les hommes sortent de la pièce. Il lui avait fallu un peu de temps pour comprendre que j’estimais que tous sans exception avaient le droit d’y rester. Le seul absent était Galen, que Doyle avait envoyé en mission. J’étais à moitié assoupie lorsque je les avais entendus se concerter à voix basse, puis Galen était parti. Je n’avais même pas pensé à me renseigner où, ni pourquoi, faisant toute confiance à Doyle.

Elles soulevèrent ma blouse pour étaler cette pâte bleutée, toujours aussi glaciale, sur mon abdomen, puis le docteur prit cette espèce de gros bâton qu’elle se mit à déplacer dessus. Je regardai l’image floue sur l’écran, que j’avais d’ailleurs suffisamment vue pour y discerner ces deux points, ces deux formes si minuscules qu’elles n’en semblaient pas encore réelles. La seule chose qui m’indiqua qu’elles l’étaient bel et bien était le battement rapide de leurs cœurs.

— Vous voyez, ils vont parfaitement bien.

— Alors pourquoi tous ces examens supplémentaires ?

— Vous voulez vraiment le savoir ?

— S’il vous plaît.

— Parce que vous êtes la Princesse Meredith NicEssus et que je me couvre.

Elle me sourit et je lui souris en retour.

— C’est particulièrement honnête pour un médecin.

— Je fais de mon mieux.

L’infirmière m’essuya ensuite le ventre avec une lingette, avant de nettoyer l’équipement tandis que le docteur et moi nous regardions, les yeux dans les yeux.

— Des journalistes m’ont déjà harcelée ainsi que mon équipe pour obtenir des infos. La Reine ne sera pas la seule à me surveiller de près.

À nouveau, elle agrippa son stéthoscope.

— Je suis désolée que mon statut vous crée des complications ainsi qu’à vos assistants.

— Contentez-vous pour le moment d’être une patiente modèle, nous en reparlerons demain matin, Princesse. Bon, maintenant, allez-vous vous endormir, ou du moins vous reposer ?

— Je vais essayer.

Elle ébaucha un sourire, mais ses yeux révélaient qu’elle demeurait sur ses gardes, semblant se demander si elle pouvait me faire confiance.

— Bon, je suppose que c’est le mieux que je puisse espérer, mais… dit-elle en se tournant vers les hommes tout en agitant un doigt réprobateur à leur intention : Ne la dérangez pas !

— Elle est Princesse et notre future Reine, mentionna Sholto du coin de la chambre. Si elle requière des sujets de débat déplaisants, que pouvons-nous y faire ?

Elle hocha la tête en s’accrochant encore à son stéthoscope.

— Je me suis entretenue avec la Reine Andais et je comprends bien votre problème. Faites au mieux pour qu’elle se repose, et qu’elle reste au calme. Elle a subi pas mal de chocs aujourd’hui, et je préférerais vraiment qu’elle prenne du repos.

— Nous ferons de notre mieux, lui assura Doyle.

Elle sourit, mais son regard demeura anxieux.

— Je vous en tiens personnellement responsable. Et vous, reposez-vous, dit-elle en pointant le doigt vers moi comme s’il s’agissait d’une sorte de rituel magique qui pourrait m’y contraindre, avant de se diriger vers la porte, l’infirmière sur les talons.

— Où as-tu envoyé Galen ? m’informai-je auprès de Doyle.

— Il est parti chercher quelqu’un qui, je pense, pourra nous aider.

— Qui et où ça ? Tu ne l’as quand même pas renvoyé tout seul à la Féerie ?

— Non, répondit-il en me prenant le visage au creux de ses mains. Je ne mettrais pas en danger notre chevalier vert. Il est l’un des pères et deviendra Roi.

— Et comment cela fonctionnera-t-il ? s’enquit Rhys.

— Oui, dit Sholto, comment pouvons-nous tous être Roi ?

— Je pense que la réponse est que Merry sera Reine, répondit Doyle.

— Ce n’est pas une réponse, rétorqua Sholto.

— C’est tout ce que nous pouvons en dire pour l’instant, répliqua Doyle.

Je fixai ses yeux noirs et y perçus des lumières colorées, reflétant des couleurs absentes dans cette chambre.

— Tu essaies de m’hypnotiser, lui dis-je.

— Tu dois te reposer, pour ces bébés que tu portes en toi. Laisse-moi t’aider à trouver le repos.

— Tu cherches à m’envoûter et à ce que je te l’autorise, répliquai-je, la voix atténuée.

— Oui.

— Certainement pas !

Il se pencha vers moi, ses yeux irisés paraissant gagner en intensité, telles des étoiles arc-en-ciel.

— As-tu confiance en moi, Meredith ?

— Oui.

— Alors laisse-moi t’aider à trouver le sommeil. Je te promets que tu te réveilleras aussi fraîche qu’une rose et que tous nos problèmes seront toujours en attente d’une solution.

— Tu n’iras pas prendre de décision importante sans moi ? Promis ?

— Promis, dit-il, avant de m’embrasser.

Et soudainement, après ce baiser, tout ce que je pus voir ne fut que couleurs et obscurité. Comme si, par une nuit d’été, je me trouvais entourée d’une nuée de lucioles, sauf qu’elles scintillaient de rouge, de vert, de jaune, puis… je m’assoupis.

Les ténèbres dévorantes
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